Photo. Source Agrisolar Clearing House. License Creative Commons |
Dans une tribune publiée dans le quotidien Libération, un collectif de scientifiques et d’artistes se sont érigés contre le déploiement de centrales photovoltaïques en milieux naturels (1). Par milieux naturels, ils entendent des zones humides, ou des forêts, et on ne peut que leur donner raison. Mais ils entendent aussi les prairies, et par extension, les terres agricoles. Et de mon point de vue, on fait fausse route.
De quoi parle-t-on ? De 150 000 hectares qui pourraient accueillir des panneaux solaires. Mais, autant que je le sache, les auteurs de la tribune ne s’indignent pas de l’utilisation de 2,5 millions d’hectares agricoles, dont 800 000 hectares des meilleures terres de notre territoire, pour produire des biocarburants qui servent à remplir les réservoirs de nos automobiles (2). Je ne vois pas non plus d’opposition aussi farouche à l’artificialisation de 340 000 hectares depuis 2009 (3) pour construire des maisons individuelles, des immeubles, des infrastructures routières, des centres commerciaux, alors qu’il serait possible de densifier l’existant ou simplement de ne pas le laisser tomber en ruine. Mais revenons à nos moutons.
J’ai calculé qu’avec 100 000 hectares de solaire photovoltaïque (ordre de grandeur), il est possible de produire une quantité d’électricité capable d’alimenter toutes nos voitures si toutes étaient électriques (4). Et donc ces 100 000 hectares de panneaux solaires économiseraient en réalité 700 000 hectares dans l’hexagone, et un 1,7 millions d’hectares ailleurs, consacrés à nos biocarburants.
Vous me suivez ? 100 000 hectares de panneaux solaires, toutes nos automobiles deviennent électriques, plus besoin de biocarburants, et on économise 2,4 millions d’hectares de bonnes terres agricoles consacrées à la production de biocarburants. Vive les panneaux solaires !
Et les défenseurs de la biodiversité pourraient militer pour que ces 2,4 millions d’hectares dont nous n’aurions plus besoin soient laissés en friche. C’est la superficie de trois départements regagnés pour la biodiversité en mobilisant de l’ordre de 100 000 hectares de panneaux solaires.
J’ajoute ici que, contrairement au colza, au maïs, au blé ou à la betterave cultivés pour faire des biocarburants, il n’est nul besoin de bonnes terres pour les panneaux solaires, nul besoin d’eau, de tracteurs, de camions, de gazole, d’installations industrielles, et surtout d’engrais et de pesticides à hautes doses dont on connaît les bienfaits sur la biodiversité…
Allons plus loin. Nombres de petits exploitants agricoles dans des zones difficiles, ne peuvent plus vivre de leur terre. Les anciens restent sur leurs exploitation et continuent à entretenir les paysages, les chemins, les haies ; ils contribuent souvent à l’alimentation locale, à la survie de nombre de villages et de hameaux, et sont précisément des auxiliaires précieux de la protection de la biodiversité. Mais alors que 50 % des agriculteurs vont partir à la retraite, rares sont leurs enfants qui veulent reprendre, ils ne veulent pas être des agriculteurs pauvres (5).
Les éleveurs du sud de la Loire, les paysans des grands causses et des montagnes, nombre de viticulteurs et d’arboriculteurs savent de quoi je parle.
Une part de production solaire dans les petites fermes changerait l‘équation économique de l’exploitant (6), maintiendrait des agriculteurs dans les campagnes, favoriserait les installations, conforteraient le rôle des paysans, perpétuerait des cultures de faible rentabilité mais utiles à la biodiversité : des variétés anciennes de blés, de haricots, de pommes par exemple ; et avec eux encore la conservation de pratiques agricoles capables de nous aider à nous adapter au changement climatique. Et avec eux, j’enfonce des portes ouvertes, c’est aussi le maintien d’une boulangerie locale, du marché hebdomadaire, de la ruralité, de la vie tout simplement, et c’est la promesse de développements. Les maires ruraux savent de quoi je parle.
Prenons un exemple simple. Si on utilisait 100 000 des 790 000 hectares de vignes pour y poser des panneaux photovoltaïques ? La biodiversité en souffrirait-elle ? Loin de là, elle retrouverait enfin des espaces naturels, sous les panneaux solaires. Et ceci permettrait à nombre de viticulteurs de survivre aux aléas climatiques qui rendent les exploitations de plus en plus compliquées. Et peut être pourraient-ils, dans un contexte de baisse de la demande et de marché en berne, amorcer une transition coûteuse vers d’autres cultures plus propices à la biodiversité que 4000 pieds de vignes à l’hectare arrosés, dans le meilleur des cas, de bouillie bordelaise... Ajoutons qu’en France l‘alcool est directement à l’origine de 50 000 morts par an et qu’on pourrait mettre en cause l’utilité publique de produire du pinard, ce que je ne ferai pas, bien au contraire. Ce que je soutiens ici, de façon très réductrice aux fins de me faire comprendre, c’est qu’électricité solaire au sol et petits vignerons font bon ménage. Je ne parle pas ici d’installer à grands frais des panneaux solaires au dessus des cultures, mais de sols soustraits à la vigne, rendu à la nature sous les panneaux solaires, pour améliorer l’économie de l’exploitation, réduire les rendements, augmenter la qualité, passer en biodynamie par exemple. Je vois là tout l’inverse d’une atteinte à la biodiversité.
Autre exemple, les producteurs de lait. À quoi bon protéger les prairies, pour voir les éleveurs assiéger la préfecture du coin parce que le prix du lait leur permet juste de crever.
Notez que les prairies équipées de panneaux solaires ne seraient pas perdues pour autant car les panneaux solaires sont démontables. Et d’ailleurs ces prairies ne seraient pas artificialisées, c’est tout l’inverse. La nappe phréatique s’en porterait mieux ; de même que les rivières, et jusqu’à la faune marine, empoisonnées par le lisier des vaches ; la terre en friche pendant 30 ans retrouverait sa richesse biologique ; les marcheurs risqueraient moins de mourir asphyxiés sur les plages ; le paysan pourrait envisager une diversification qui serait impossible sans le filet de sécurité apporté par l’activité électrique ; et le préfet du coin pourrait sortir tranquillement de la préfecture sans risquer un jet de purin. Ma réflexion vaut d’ailleurs aussi pour l’éolien.
En s’opposant à « l’énergie-culture » par les paysans, on défend la désertification des campagnes, l’accaparement par des investisseurs industriels de centaines de milliers d’hectares bientôt délaissés par des agriculteurs âgés sans repreneur (7).
Ces investisseurs y installeront des fermes usines, planteront et exploiteront à grande échelle des monocultures de nouvelles essences d’arbres, parfois exotiques, peut-être modifiées génétiquement, supposées adaptées au dérèglement climatique, candidates aux subventions, mais surtout adaptées à l’industrie pour produire la viscose de nos vêtements jetables, les bioplastiques de nos emballages, les cosmétiques et les carburants de demain. Et ce, coupe rase après coupe rase jusqu’à l’épuisement des sols. Et ces sols usés, bientôt qualifiés de délaissés, bénéficieront d’autres aides de l’État pour y construire... des fermes solaires, cette fois géantes, propriétés de trusts dont les sièges seront à l’autre du monde.
Les signataires de la tribune publiée par Libération ne l’ont peut-être pas vu comme ça. Leur intention est louable mais nous sommes au point où, au prétexte de protéger des espaces naturels, on réserve l’installation de panneaux solaires aux terres polluées, aux friches industrielles ou aux décharges - ce qui aboutit à récompenser les pollueurs d’hier. Ma suggestion est toute à l’opposé : avec quelques règles simples, le solaire photovoltaïque, prodige de la production électrique, offrirait l’opportunité d’une agriculture plus responsable et plus humaine, plus paysanne et donc bien utile à la biodiversité.
Et en étendant cette suggestion de synergie économique et environnementale à toutes les activités, nous tenons une proposition sociale nouvelle, celle de la démocratie économique, capable de redonner confiance dans les institutions.
par Yves Heuillard Journaliste spécialiste des problématiques environnementales /18 novembre 2024.
Références :
1) « Pour un arrêt du déploiement de centrales photovoltaïques en milieux naturels » Libération du 5 novembre 2024.
2) « Gâchis de 9,6 millions d’hectares de terres» : les biocarburants, un frein à la lutte contre le dérèglement climatique. Libération du 9 mars 2023.
3) Voir « Artificialisation des sols », Ministères Territoires Écologie Logement.
4) Voir mon post « Combien d’hectares agricoles couverts de panneaux solaires pour alimenter toutes nos voitures si toutes étaient électriques ? ». J’avais pris les chiffres de 40 millions de voitures, 12 500 km/an, 20 kWh aux cent km et de 1 GWh/ ha.an sur la base de « Land Requirements for Utility-Scale PV: An Empirical Update on Power and Energy Density. IEEE Journal of Photovoltaïcs. »
5) Voir « Le vrai du faux. 50% des agriculteurs français vont-ils partir à la retraite d'ici moins de dix ans ? » Source France Info.
6) Selon Olivier Thomas, Maire de Marcoussis interviewé par France Culture, la ferme solaire de 23 hectares installée sur une friche municipale rapporte à la commune un loyer de 7000 euros par hectare et par an.
7) Voir la « La terre aux paysans, l’agro-industrie hors champ » publié par les Amis de la Terre. Voir aussi « Des fermes géantes vont se multiplier dans nos campagnes » publié par Capital. Et par Ouest-France « Accaparements de terres agricoles : « Un risque pour la nature et le travail rural » »