L’occasion de faire le point avec le fondateur du bureau d’études TECSOL sur le marché actuel, lui à qui l’on doit la nouvelle formule consacrée de l’avènement actuel des « Trente Glorieuses » du solaire ! Décryptage.
Plein Soleil : Alors André Joffre, l’énergie solaire est définitivement sur les rails. Nous venons d’entrer dans les « Trente Glorieuses » du solaire. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
André Joffre : Le solaire est l’énergie d’aujourd’hui et de l’avenir. En quelques années à peine, cette énergie propre et durable est devenue la plus compétitive de la planète et elle va le devenir encore davantage. Le phénomène de baisse des prix n’est pas près de se tarir. D’aucuns évoquent une asymptote. Que nenni ! A fin décembre et sur un an, les prix de gros des modules photovoltaïques ont été divisés par deux. Et il n’est pas question de dumping. Nous assistons à une arrivée massive de très grandes capacités de production dans une industrie de transformation dont la matière première, le silicium, deuxième matériau le plus présent sur terre après l’oxygène, est très bon marché. Le coût dépend donc du volume de transformation. Plus on fabrique, plus les coûts diminuent.
Et les volumes deviennent considérables sur le secteur. Qui plus est, avec le ralentissement de l’activité dû au Covid, les stocks de modules sont très importants avec plus de 70 GW entreposés dans les hangars européens. Sans oublier la deuxième jambe de la croissance industrielle continue qui est l’innovation, avec les records de rendement photovoltaïques qui tombent de mois en mois et améliorent encore la rentabilité.
Il n’y a aucune raison pour que cela s’arrête. Croyez moi, l’heure sera bientôt venue où un toit photovoltaïque sera moins cher qu’un toit en tuiles.
« Il y a urgence à déployer du solaire »
Plein Soleil : Le problème est que toutes ces giga-unités de production se déploient en Asie et pas en Europe. Quid de la souveraineté énergétique du pays ?
André Joffre : Il est certain qu’aujourd’hui les ordres de grandeur des usines chinoises, déjà existantes, à plusieurs dizaines de gigawatts et ceux des projets d’usines européennes autour des 5 gigawatts par an n’ont absolument rien de comparable. Il n’est pas question d’attendre les panneaux européens pour développer le marché car la demande est là. Il y a urgence à déployer du solaire.
Aujourd’hui, les modules pèsent moins de 25 % du prix d’une installation, tout le reste est à mettre au crédit des entreprises françaises ou européennes du BTP, des systèmes de fixation ou même de l’électronique de puissance avec Schneider, SMA ou Fronius... Une centrale construite en France produit de l’électricité française. Dans la logique de la plaque européenne, l’électricité solaire produite à Perpignan, c’est du gaz, et donc du CO2, économisé en Allemagne.
Plein Soleil: Quelles conditions seraient alors nécessaires à une véritable éclosion d’une industrie solaire européenne ?
André Joffre : Il faut impérativement créer les conditions d’un marché. Le coût de l’investissement n’est pas un sujet. Les technologies et les usines sont identiques, nous avons même des fournisseurs de matériels en Europe. Ce qui garantit la viabilité d’un industriel c’est avant tout la confiance dans ses propres marchés. Regardez ce qu’il se passe avec l’IRA (Inflation Reduction Act) aux Etats-Unis. Les industriels européens et Chinois s’y installent. Meyer Burger a même différé son implantation prévue en Europe pour s’installer aux US. Le gouvernement subventionne certes l’activité mais il s’est surtout engagé sur un plan public extrêmement volontariste jusqu’en 2032.
En France, nous avons eu trop d’atermoiements, nous sommes plombés par le dogme du mix déjà fortement décarboné par le nucléaire. La France est le seul pays européen à ne pas avoir atteint ses objectifs en termes de renouvelable. Il y a mieux pour stimuler les industriels.
Alors oui, on peut évoquer des barrières douanières autour du contenu CO² ou du travail forcé des Ouïghours. Mais le fond du problème n’est pas là. Avant toute chose créons aux industriels un vrai marché, avec une montée en puissance rapide, avec une vraie loi d’accélération dynamique, et pas seulement 2 ou 3 GW par an.
Pour sa prochaine PPE, la feuille de route de la France doit s’emparer des objectifs ambitieux de la directive européenne à 45 % d’EnR dans le mix en 2030. Il n’y a pas d’alternative.
« Les collectivités et les territoires aspirent à se réapproprier l’énergie »
Plein Soleil : Dans ce contexte, la percée de l’autoconsommation en France ne pousse-t-elle pas à l’optimisme ?
André Joffre : C’est certain. Elle montre déjà l’appétence du public, les particuliers ou les professionnels, pour l’énergie solaire avec une progression de 77% au premier semestre 2023 par rapport à la même période 2022. Les gens ont été échaudés par les hausses des prix de l’électricité. Ils se sont aperçus qu’une électricité chère, cela pouvait arriver.
L’activité a été multipliée par 4 dans les entreprises, elle a même été plus marquée que dans le résidentiel. Après vous savez, le sujet de l’autoconsommation va au-delà du simple fait de produire des électrons. Il est question de partage, d’échange et de gestion de l’énergie sur fond d’énergie numérique. A ce titre, l’autoconsommation collective attire fortement les collectivités et les territoires qui aspirent à se réapproprier l’énergie. Là encore, le carcan administratif, véritable millefeuilles fait de procédures, de permis en tous genres et de normes techniques à n’en plus finir n’a pas lieu d’être. Regardons les dispositifs européens qui nous conduiraient à diviser par deux le temps de réalisation des projets.
Plein Soleil : Un dernier mot sur le manque de personnels qualifiés et sur la formation ?
André Joffre: Premier point positif, nos métiers attirent les jeunes collaborateurs en quête de sens. Ils sont heureux de contribuer à lutter contre le réchauffement climatique.
Après il faut multiplier les écoles d’ingénieurs, les formations de techniciens, d’installateurs et d’électriciens. Il faut dynamiser l’activité des plateformes pédagogiques, doper leur capacité. Nous manquons cruellement de formateurs qualifiés. Là aussi, il est urgent d’y remédier.
Avec le pôle DERBI, nous menons en ce sens des actions collectives avec la Région Occitanie. Si l’offre n’est pas au rendez-vous, nous ouvrons la porte aux éco-délinquants.
Les pouvoirs publics doivent être en alerte sur ces sujets, ils doivent faire le ménage. Il y a un vrai danger. Nous avons besoin plus que tout, d’une offre bien structurée portée par des gens de qualité bien formés.