mardi 19 novembre 2024

Comment le solaire photovoltaïque peut protéger les sols, la biodiversité, et l’agriculture paysanne. ( Yves Heuillard )

Photo. Source Agrisolar Clearing House. License Creative Commons
On se trompe de cible en s’opposant au solaire photovoltaïque sur les terres agricoles. Il faut au contraire le favoriser pour maintenir une agriculture paysanne et la ruralité. Paradoxalement, ne pas le faire, c’est faire le jeu de l’appropriation et de l’industrialisation de tout par quelques-uns. Explications. 

Dans une tribune publiée dans le quotidien Libération, un collectif de scientifiques et d’artistes se sont érigés contre le déploiement de centrales photovoltaïques en milieux naturels (1). Par milieux naturels, ils entendent des zones humides, ou des forêts, et on ne peut que leur donner raison. Mais ils entendent aussi les prairies, et par extension, les terres agricoles. Et de mon point de vue, on fait fausse route. 

De quoi parle-t-on ? De 150 000 hectares qui pourraient accueillir des panneaux solaires. Mais, autant que je le sache, les auteurs de la tribune ne s’indignent pas de l’utilisation de 2,5 millions d’hectares agricoles, dont 800 000 hectares des meilleures terres de notre territoire, pour produire des biocarburants qui servent à remplir les réservoirs de nos automobiles (2). Je ne vois pas non plus d’opposition aussi farouche à l’artificialisation de 340 000 hectares depuis 2009 (3) pour construire des maisons individuelles, des immeubles, des infrastructures routières, des centres commerciaux, alors qu’il serait possible de densifier l’existant ou simplement de ne pas le laisser tomber en ruine. Mais revenons à nos moutons. 

J’ai calculé qu’avec 100 000 hectares de solaire photovoltaïque (ordre de grandeur), il est possible de produire une quantité d’électricité capable d’alimenter toutes nos voitures si toutes étaient électriques (4). Et donc ces 100 000 hectares de panneaux solaires économiseraient en réalité 700 000 hectares dans l’hexagone, et un 1,7 millions d’hectares ailleurs, consacrés à nos biocarburants. 

Vous me suivez ? 100 000 hectares de panneaux solaires, toutes nos automobiles deviennent électriques, plus besoin de biocarburants, et on économise 2,4 millions d’hectares de bonnes terres agricoles consacrées à la production de biocarburants. Vive les panneaux solaires ! 

Et les défenseurs de la biodiversité pourraient militer pour que ces 2,4 millions d’hectares dont nous n’aurions plus besoin soient laissés en friche. C’est la superficie de trois départements regagnés pour la biodiversité en mobilisant de l’ordre de 100 000 hectares de panneaux solaires. 

J’ajoute ici que, contrairement au colza, au maïs, au blé ou à la betterave cultivés pour faire des biocarburants, il n’est nul besoin de bonnes terres pour les panneaux solaires, nul besoin d’eau, de tracteurs, de camions, de gazole, d’installations industrielles, et surtout d’engrais et de pesticides à hautes doses dont on connaît les bienfaits sur la biodiversité… 

Allons plus loin. Nombres de petits exploitants agricoles dans des zones difficiles, ne peuvent plus vivre de leur terre. Les anciens restent sur leurs exploitation et continuent à entretenir les paysages, les chemins, les haies ; ils contribuent souvent à l’alimentation locale, à la survie de nombre de villages et de hameaux, et sont précisément des auxiliaires précieux de la protection de la biodiversité. Mais alors que 50 % des agriculteurs vont partir à la retraite, rares sont leurs enfants qui veulent reprendre, ils ne veulent pas être des agriculteurs pauvres (5). 

Les éleveurs du sud de la Loire, les paysans des grands causses et des montagnes, nombre de viticulteurs et d’arboriculteurs savent de quoi je parle. 

Une part de production solaire dans les petites fermes changerait l‘équation économique de l’exploitant (6), maintiendrait des agriculteurs dans les campagnes, favoriserait les installations, conforteraient le rôle des paysans, perpétuerait des cultures de faible rentabilité mais utiles à la biodiversité : des variétés anciennes de blés, de haricots, de pommes par exemple ; et avec eux encore la conservation de pratiques agricoles capables de nous aider à nous adapter au changement climatique. Et avec eux, j’enfonce des portes ouvertes, c’est aussi le maintien d’une boulangerie locale, du marché hebdomadaire, de la ruralité, de la vie tout simplement, et c’est la promesse de développements. Les maires ruraux savent de quoi je parle. 

Prenons un exemple simple. Si on utilisait 100 000 des 790 000 hectares de vignes pour y poser des panneaux photovoltaïques ? La biodiversité en souffrirait-elle ? Loin de là, elle retrouverait enfin des espaces naturels, sous les panneaux solaires. Et ceci permettrait à nombre de viticulteurs de survivre aux aléas climatiques qui rendent les exploitations de plus en plus compliquées. Et peut être pourraient-ils, dans un contexte de baisse de la demande et de marché en berne, amorcer une transition coûteuse vers d’autres cultures plus propices à la biodiversité que 4000 pieds de vignes à l’hectare arrosés, dans le meilleur des cas, de bouillie bordelaise... Ajoutons qu’en France l‘alcool est directement à l’origine de 50 000 morts par an et qu’on pourrait mettre en cause l’utilité publique de produire du pinard, ce que je ne ferai pas, bien au contraire. Ce que je soutiens ici, de façon très réductrice aux fins de me faire comprendre, c’est qu’électricité solaire au sol et petits vignerons font bon ménage. Je ne parle pas ici d’installer à grands frais des panneaux solaires au dessus des cultures, mais de sols soustraits à la vigne, rendu à la nature sous les panneaux solaires, pour améliorer l’économie de l’exploitation, réduire les rendements, augmenter la qualité, passer en biodynamie par exemple. Je vois là tout l’inverse d’une atteinte à la biodiversité. 

Autre exemple, les producteurs de lait. À quoi bon protéger les prairies, pour voir les éleveurs assiéger la préfecture du coin parce que le prix du lait leur permet juste de crever. 

Notez que les prairies équipées de panneaux solaires ne seraient pas perdues pour autant car les panneaux solaires sont démontables. Et d’ailleurs ces prairies ne seraient pas artificialisées, c’est tout l’inverse. La nappe phréatique s’en porterait mieux ; de même que les rivières, et jusqu’à la faune marine, empoisonnées par le lisier des vaches  ; la terre en friche pendant 30 ans retrouverait sa richesse biologique ; les marcheurs risqueraient moins de mourir asphyxiés sur les plages ; le paysan pourrait envisager une diversification qui serait impossible sans le filet de sécurité apporté par l’activité électrique ; et le préfet du coin pourrait sortir tranquillement de la préfecture sans risquer un jet de purin. Ma réflexion vaut d’ailleurs aussi pour l’éolien. 

En s’opposant à « l’énergie-culture » par les paysans, on défend la désertification des campagnes, l’accaparement par des investisseurs industriels de centaines de milliers d’hectares bientôt délaissés par des agriculteurs âgés sans repreneur (7). 

Ces investisseurs y installeront des fermes usines, planteront et exploiteront à grande échelle des monocultures de nouvelles essences d’arbres, parfois exotiques, peut-être modifiées génétiquement, supposées adaptées au dérèglement climatique, candidates aux subventions, mais surtout adaptées à l’industrie pour produire la viscose de nos vêtements jetables, les bioplastiques de nos emballages, les cosmétiques et les carburants de demain. Et ce, coupe rase après coupe rase jusqu’à l’épuisement des sols. Et ces sols usés, bientôt qualifiés de délaissés, bénéficieront d’autres aides de l’État pour y construire... des fermes solaires, cette fois géantes, propriétés de trusts dont les sièges seront à l’autre du monde.

Les signataires de la tribune publiée par Libération ne l’ont peut-être pas vu comme ça. Leur intention est louable mais nous sommes au point où, au prétexte de protéger des espaces naturels, on réserve l’installation de panneaux solaires aux terres polluées, aux friches industrielles ou aux décharges - ce qui aboutit à récompenser les pollueurs d’hier. Ma suggestion est toute à l’opposé : avec quelques règles simples, le solaire photovoltaïque, prodige de la production électrique, offrirait l’opportunité d’une agriculture plus responsable et plus humaine, plus paysanne et donc bien utile à la biodiversité. 

Et en étendant cette suggestion de synergie économique et environnementale à toutes les activités, nous tenons une proposition sociale nouvelle, celle de la démocratie économique, capable de redonner confiance dans les institutions. 

par Yves Heuillard Journaliste spécialiste des problématiques environnementales /18 novembre 2024.  

Références : 

 1) « Pour un arrêt du déploiement de centrales photovoltaïques en milieux naturels » Libération du 5 novembre 2024. 

2) « Gâchis de 9,6 millions d’hectares de terres» : les biocarburants, un frein à la lutte contre le dérèglement climatique. Libération du 9 mars 2023. 

3) Voir « Artificialisation des sols », Ministères Territoires Écologie Logement. 

4) Voir mon post « Combien d’hectares agricoles couverts de panneaux solaires pour alimenter toutes nos voitures si toutes étaient électriques ? ». J’avais pris les chiffres de 40 millions de voitures, 12 500 km/an, 20 kWh aux cent km et de 1 GWh/ ha.an sur la base de « Land Requirements for Utility-Scale PV: An Empirical Update on Power and Energy Density. IEEE Journal of Photovoltaïcs. » 

5) Voir « Le vrai du faux. 50% des agriculteurs français vont-ils partir à la retraite d'ici moins de dix ans ? » Source France Info. 

6) Selon Olivier Thomas, Maire de Marcoussis interviewé par France Culture, la ferme solaire de 23 hectares installée sur une friche municipale rapporte à la commune un loyer de 7000 euros par hectare et par an.

 7) Voir la « La terre aux paysans, l’agro-industrie hors champ » publié par les Amis de la Terre. Voir aussi « Des fermes géantes vont se multiplier dans nos campagnes » publié par Capital. Et par Ouest-France « Accaparements de terres agricoles : « Un risque pour la nature et le travail rural » » 

mardi 5 novembre 2024

Christian de Perthuis lors de l'Université de l'autoconsommation 2024 d'ENERPLAN.


Quelques extraits de cette édifiante contribution de l'économiste du climat Christian de Perthuis:

"On est engagé dans une révolution majeure, cette révolution c'est la bascule des énergies de stock vers les énergies de flux. ...   Pendant très longtemps le stock principal et quasi total d'énergie qu'on utilisait c'était la biomasse pour notre énergie primaire et les besoins alimentaires, puis ensuite la combustion avec l'attraction animale. Pendant des siècles on a vécu avec des prélèvements dans le stock de biomasse. Mais en réalité la limite d'utilisation de ce stock c'était la capacité de renouvellement de la biomasse grâce à la photosynthèse.
Ensuite pendant un siècle et demi on a démesurément accru l'énergie qu'on allait chercher dans les stocks grâce à trois produits : le charbon, le pétrole et le fossile dont l’origine était la biomasse qui s'était fossilisée. Du coup on a envoyé un énorme choc dans le milieu naturel puisque ce que la nature avait mis des millions d’années à fabriquer en énergie fossile on l'a brûlé en 150 ans. D'où l'urgence climatique...
Donc tout ceci fait qu’on est au début de cette révolution du passage des énergies de stock vers les énergies de flux
Dans les énergies de flux qui ont été les premières à être utilisés, on a les flux hydrauliques et  les flux éoliens. Mais tous ces flux sur le plan énergétique sont dérivés d'un flux primaire qui est le flux solaire . Toute l'énergie qu'on utilise en fait vient de l'énergie solaire transformée par la photosynthèse. 
Et donc pour moi dans la révolution du passage des énergies de stock vers les énergies de flux l'énergie solaire est le maillon le plus important ...
L'habitabilité de la planète à moyen terme est complètement dépendante du rythme auquel on va être capable de faire cette bascule vers les énergies de flux.

C'est quoi les blocages et c'est quoi les facteurs d'accélération ? 
Le premier problème c'est les coûts. 
👉Sur le fossile vous partagez les coûts entre le coût de démarrage et puis ce n’est qu’ensuite, suivant l'évolution des prix, que vous allez pouvoir vous rendre compte au bout de 20 ou 30 combien ça a coûté.
👉Sur le nucléaire, il y a une partie des coûts qui sont au début parce que c'est très capitalistique mais ....on ne sait pas quand on  va s'arrêter de payer. Il y a une grande partie des couts qu'on repousse dans le futur :  les déchets... 
👉Sur le solaire vous payez tous les coups au démarrage et même des fois avant le démarrage parce que les  réseaux ne vont pas être adaptés à ce que vous pouvez faire...
Le deuxième problème c'est que les fossiles font de la résistance.
Nos sociétés sont quand même totalement incrusté de 150 ans de passé dans le développement des énergies fossiles donc il y en a des traces partout dans nos sociétés, dans nos représentations ... et si vous parlez d'énergie solaire à beaucoup de gens dans la rue : « c'est une énergie coûteuse, c’est une énergie intermittente »  ils ne voient pas du tout que le fossile est subventionné à des niveaux considérables. On parle beaucoup des aides publiques au renouvelable mais parlons un peu aussi des subventions aux énergies fossiles.
Pour sortir des énergies fossiles il faut soit reconvertir, soit enlever une grande partie du capital qui est lié à la production ou à la  consommation d'énergie fossile. Et comme on ne l’a pas provisionné, comme on l'a pas anticipé, c'est très difficile c'est très douloureux.

C'est tout le débat qu'il y a en ce moment sur le véhicule électrique. Tant que vous faites 5 à 10 % du marché avec le véhicule électrique, ça vient en plus, mais la vraie difficulté c'est quand il faut commencer à retirer complètement les véhicules qui fonctionnent avec le moteur à combustion.
C'est un point très important qu'on n’a pas du tout anticipé ni provisionné alors que la sortie de l'énergie fossile on l'a fait déjà pour l'arrêt du charbonnage...

Troisième point  les réseaux : les réseaux, ça a été dit, c'est connu si on ne fait pas suffisamment d'investissement dans les réseaux on va pas pouvoir utiliser toute l'énergie de flux même si effectivement  les modèles d'autoconsommation ont quand même besoin du réseau.
Dernier point, je le mets uniquement en dernier parce que c'est toujours mis en premier, bon effectivement il y a une difficulté sur l'intermittence. Cette difficulté sur l'intermittence elle est totalement surdimensionnée, souvent par des lobbies qui veulent ralentir la bascule vers l'énergie de flux. On a déjà beaucoup progressé avec la réduction du coût du stockage dans les batteries ..

Le photovoltaïque c'est la modularité par excellence. Vous pouvez utiliser une cellule PV pour recharger votre batterie. Cette modularité c'est je pense une force incroyable pour le déploiement. Cette modularité qui fait que vous soyez dans une grande métropole, dans un petit village vous êtes intermédiaire et on peut moduler complètement. On peut même moduler à l'intérieur, entre maisons, puis on peut ensuite moduler en bidirectionnel entre la voiture et le réseau. 

Il y a d'autres façons d'accélérer,  c'est de taxer plus le carbone. Si on avait un réel  renchérissement de  la taxation carbone, soit par des systèmes de quotas,  soit par des taxes, et qu’on renchérisse le coût d'utilisation des énergies fossiles sans verser la rente aux producteurs quand le prix du pétrole augmente. 
On est dans un cercle infernal puisqu’effectivement vous découragez la consommation mais vous encouragez les producteurs. 
Donc ça serait aussi un mécanisme d'accélération formidable si on était capable de redistribuer. C’est un problème de redistribution, c'est parce qu’on ne sait pas redistribuer le produit des taxes ou des marchés de quota, qu’on ne peut pas aller plus vite.