Le soleil au service de l’humanité, un engagement citoyen et collectif
(Tribune de Daniel Lincot et Jean Jouzel)
Le 12 décembre 2023, le Collège de France a accueilli la conférence : « Énergie solaire, urgence climatique et engagement collectif », pour le cinquantième anniversaire du congrès organisé à l’UNESCO en 1973 « Le soleil au service de l’homme ».
Alors que la COP28 se concluait à Dubaï sur un bilan mitigé, avec néanmoins quelques avancées, les acteurs des énergies renouvelables (EnR) en France et au-delà se sont réunis pour témoigner de l’immense enjeu auquel ces énergies répondent face à l’urgence climatique, de l’essor scientifique, industriel et économique de ces technologies depuis 50 ans ainsi que des engagements des citoyens et de leurs élus pour que ces énergies soient au cœur du développement de notre société (1).
Il y a 50 ans, alors que les applications de l’énergie solaire se cantonnaient aux usages du spatial et quelques sites isolés, les pionniers des EnR étaient visionnaires en affirmant qu’elles pourraient contribuer de façon majeure à l’énergie utilisée par l’humanité. Si le chemin a été jalonné d’embûches et d’atermoiements, les résultats sont à la hauteur de leurs ambitions. Les investissements annuels dans les EnR électriques au niveau mondial dépassent désormais les investissements réalisés dans toute forme d’énergie, comme le souligne l’Agence Internationale de l’Énergie. En 2023, d’après cette agence, les ajouts de nouvelles capacités EnR électriques ont crû de 50 % par rapport à 2022 et totalisent 510 GW de capacités installées. Les trois quarts de cette augmentation proviennent du solaire photovoltaïque (2).
Fin 2023, plus de 400 000 foyers sont autoconsommateurs d’énergie solaire photovoltaïque en France, dont 200 000 pour la seule année 2023 et, selon RTE, ce chiffre devrait, d’ici 2030, atteindre 4 millions de foyers soit 13 % des ménages français. Les raccordements photovoltaïques ont augmenté de 30 % entre 2022 et 2023 selon Enedis. Ce chiffre témoigne de l’engouement des Français pour cette énergie et montre que les EnR sont aussi une affaire de citoyens. Ces derniers s’engagent concrètement dans leur approvisionnement énergétique pour ne plus rester simples consommateurs d’électricité centralisée.
Cette implication individuelle des citoyens dans l’énergie solaire se conjugue avec une forte croissance des projets solaires et éoliens portés par des collectifs de citoyens. Ces initiatives locales sont maintenant appuyées par une association nationale, « Énergie Partagée », qui leur apporte un soutien technique et financier. 338 projets citoyens ont été labellisés, totalisant près de 700 MW de puissance installée à ce jour et 100 millions d’euros d’investissement. 30 400 citoyens et 825 collectivités sont membres de sociétés locales qui portent ces projets, qui bénéficient en outre de l’investissement financier des 7 400 actionnaires d’Énergie Partagée Investissement (3).
Mais les citoyens ne sont pas les seuls à s’engager. Les collectivités locales sont également le fer de lance du déploiement des EnR dans leur territoire. En créant des sociétés de projets dédiées et en investissant dans ces projets, elles deviennent des acteurs essentiels de la transition énergétique. En réservant les zones de leur territoire propices à l’accélération des EnR dans lecadre de la loi de 2023, elles assurent la maîtrise d’ouvrage de leur avenir énergétique.
En s’engageant ainsi pour les EnR, ces acteurs de terrain ne s’y trompent pas. Les EnR sont désormais les énergies les plus compétitives pour la production d’électricité : moins coûteuses que les énergies fossiles qui doivent disparaître de notre mix énergétique, ou que le nucléaire. Ainsi, dans les derniers appels d’offres de la CRE, le prix de l’électricité issue des centrales solaires est de l’ordre de 80 €/MWh (4) , et il peut descendre à 20 €/ MWh dans certains pays du monde. D’ici à 2035, les EnR sont les seules capables d’augmenter nos capacités de production d’électricité décarbonée. L’urgence climatique, c’est maintenant !
Cette rationalité économique est bien comprise par les acteurs industriels, présents sur les marchés concurrentiels de l’énergie. La division en 10 ans du prix du solaire et de l’éolien par un facteur supérieur à 10 réduit considérablement les incertitudes sur la volatilité des prix de l’énergie. En France, les investissements dans les EnR se développent à un rythme accéléré en créant des emplois et se multiplieront pour peu que les pouvoirs publics intègrent ces dynamiques industrielles dans leurs exercices de planification énergétique. Cette dynamique se conjugue aujourd’hui avec celle du stockage par les batteries et l’hydrogène, répondant ainsi à la question de la gestion de la variabilité, à la fois à court terme et en intersaisonnier, à laquelle il faut aussi ajouter les progrès du réseau électrique, permettant un pilotage instantané des flux électriques sur l’ensemble du territoire. Ces trois pôles, EnR, stockage et pilotage intelligent, se complètent et créent une opportunité exceptionnelle et nouvelle pour la transition énergétique.
La conférence du Collège de France a également montré la dynamique scientifique et technologique. Les recherches et les développements conduits dans les laboratoires par les chercheurs et les entreprises donneront lieu à des innovations dans les toutes prochaines années. Les baisses de coûts et l’amélioration des rendements se traduiront par une compétitivité encore plus affirmée. La communauté scientifique et technologique française était visionnaire en 1973 : les énergies renouvelables sont, maintenant, un atout majeur dans la compétition internationale.
Cette conférence a aussi rappelé l’importance d’associer la progression des moyens techniques à une évolution de nos comportements individuels et de nos perceptions sociales, combinant l’essor des EnR avec l’efficacité énergétique, et au-delà à une gestion durable de la demande d’énergie, qui ne doit pas se traduire par un effet rebond.
Les EnR sont, enfin, un facteur d’atténuation des tensions géopolitiques et migratoires dans le monde. En autoproduisant l’énergie qu’elles consomment, les nations s’affranchissent de leurs dépendances aux combustibles vis-à-vis des pays exportateurs et de leurs prix internationaux. Le déploiement de l’accès aux énergies renouvelables dans les pays en développement, notamment pour les 600 millions d’habitants en Afrique subsaharienne qui en sont dépourvus, suscite des activités génératrices de revenus et d’emplois dont le déficit est le principal facteur d’exode rural et de migrations internationales. Ainsi, les EnR constituent l’un des supports du destin durable commun de l’Europe et de l’Afrique.
Il a fallu 50 ans pour démontrer que les ambitions des pionniers des énergies renouvelables étaient fondées. Nous n’avons plus un tel délai pour limiter le changement du climat avant qu’il ne soit trop tard. Les solutions sont là, disponibles, accessibles, compétitives et proches des citoyens. La principale question est celle de la mobilisation de tous. L’appel de la conférence du Collège de France est bien celui d’un engagement collectif pour que les énergies issues du soleil soient au service de l’humanité.
Notes
- Site web : https://www.soleilethumanite.com/. Texte de l’appel à agir ensemble et signature : https://www. soleilethumanite.com/appel-a-agir/.
- IEA, Renewables 2023, Executivesummary-WorldEnergyOutlook2023.pdf (windows.net)
- Site web : https://energie-partagee.org/.
- Délibération de la CRE N° 2023-217 du 31 août 2023.
Biographies
Daniel Lincot est directeur de recherche émérite au CNRS sur l’énergie solaire photovoltaïque (PV). Entré au CNRS à Chimie Paristech en 1980, il se consacre à la photoélectrochimie des semi-conducteurs, puis à l’élaboration de couches minces pour les applications PV. Il contribue avec EDF à la création de l’Institut de recherche et de développement sur l’énergie PV (IRDEP 2005-2018). En 2013, il participe au lancement de l’Institut PV d’Île-de-France (IPVF) dont il sera directeur scientifique jusqu’en juillet 2019. Professeur invité au Collège de France dans la chaire innovation technologique Liliane Bettencourt 2021-2022 sur le thème « Énergie solaire PV et transition énergétique », il est élu en 2024 à l’Académie des technologies. 3. 4. Site web : https://energie-partagee.org/. Délibération de la CRE N° 2023-217 du 31 août 2023.
Jean Jouzel est un paléoclimatologue français, directeur de recherche émérite au CEA. En 1987, avec Claude Lorius, il publie la première étude établissant formellement le lien entre concentration de CO2 dans l’atmosphère et réchauffement climatique. En 1994, il est nommé membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), et assure de 2002 à 2015 la vice-présidence du groupe de travail sur les bases physiques du changement climatique. Mondialement reconnu pour ses travaux sur l’évolution du climat et lauréat de nombreuses distinctions scientifiques, parmi lesquelles la médaille d’or du CNRS et le prix Vetlesen, il est membre des Académies des sciences de France, d’Italie, d’Europe, des États-Unis et d’Australie.